Blog / 2023 / Erreur n°5: Me Reprocher d’Être Trop Gentille
11 mai 2023
Ce mois-ci, ma carrière aura officiellement vingt ans. Pour fêter cet artiversaire importante, je fais une série de blogs sur les erreurs du quotidien, car, si je devais choisir une raison pour laquelle je fais encore de l’art après tout ce temps, c’est que j’ai refusé de laisser ces petits faux pas m’arrêter.
Jusqu’à présent, j’ai écrit sur comment on gère les choses quand on est sensible ainsi que sur le fait de résister au changement, de publier des œuvres médiocres, et de copier les autres. Aujourd’hui je parle de la façon dont un artiste noue des relations professionnelles avec des critiques d’art et d’autres personnes qui ont le pouvoir sur sa carrière.
La presse n’est jamais facile à digérer. Lire un article à propos de ton art, c’est un peu comme être noté à l’école, sauf que ce qui est évalué n’est pas un document de recherche sur un sujet qui ne t’a jamais vraiment intéressé. C’est ton sang, ton sueur, et tes larmes. C’est un petit morceau de toi que tu as envoyé dans le monde, et maintenant quelqu’un déclare si ce morceau en vaut la peine ou non.
J’ai eu ma part de mauvaises notes au fil des ans, mais de toute l’encre peu flatteuse qui a été déversée à propos de mon art, un article en particulier se démarque. Dans ce texte, Le Critique—la personne qui était, à l’époque, la voix du monde de l’art dans la région—a exprimé sa frustration face au fait qu’il me trouvait séduisante, et je ne m’intéressais pas à lui de cette manière.
L’histoire commence en 2005 lorsque j’ai contacté Le Critique, non pas avec un communiqué de presse sur une expo à venir, mais avec un commentaire sur l’un de ses articles. Mon approche était culottée. Je voulais qu’il me remarque parmi tous les courriels qu’il recevait d’autres artistes en quête d’attention. Nous avons entamé une conversation par email et, peu de temps après, Le Critique a suggéré que nous poursuivions notre conversation dans mon atelier.
Pour le jeune peintre que j’étais, ça faisait comme dans les livres d’histoire où les critiques venaient toujours voir les artistes importants chez eux. Je venais d’avoir 24 ans et, à ce moment-là, je vivais de mon art depuis trois ans, ce qui est déjà un accomplissement. Pourtant, l’intérêt du Critique à voir des œuvres qui n’étaient pas exposées au public me donnait l’impression que j’étais arrivée à un autre niveau de ma carrière.
Et la visite était magnifique, mais pas comme je pensais que ce serait. La réalité était bien plus belle que ce à quoi je m’attendais. J’ai non seulement partagé mon art avec quelqu’un qui avait un intérêt exceptionnel et crucial dans l’art local, mais j’ai aussi appris à connaître Le Critique en tant que personne. Il a parlé d’où il venait en termes de goût et de valeurs, et je lui ai expliqué un peu de ce qui faisait de moi la personne que j’étais.
J’ai fini par lui parler de mon obsession pour les dynamiques du pouvoir, une fascination que j’avais acquise très tôt. Mon premier mécontentement enregistré à l’égard du patriarcat est survenu à l’âge de cinq ans, lorsque j’ai appris qu’il n’y avait jamais eu de femme présidente des États-Unis. Et ma déception vis-à-vis de notre société s’est rapidement accrue à partir de là, mes années d’école catholique alimentant mon désir de mettre fin à Le Règne des Hommes. À 24 ans, j’avais déjà toute une vie d’expérience à incommoder des figures d’autorité, hommes et femmes. J’en avais assez de m’incliner à des gens simplement parce qu’ils avaient un titre que j’étais censé respecter. J’ai chéri l’humanité de chaque individu, mais j’ai choisi de n’accorder une considération supplémentaire que lorsqu’une personne le méritait.
À savoir, ma première collection professionnelle était des portraits de galeristes locaux peints en 2003. Critics Critiqued était un exemple évident de mon utilisation du portrait pour inverser la dynamique de pouvoir traditionnelle, forçant les gardiens du goût à évaluer mon art tout en s’assurant qu’ils ne pouvaient pas prétendre qu’ils étaient impartiaux à ce sujet.
Dans un sens, mes conversations avec Le Critique—à la fois dans mon atelier et, plus tard, alors que nous continuions à nous écrire—étaient une continuation de ce concept. J’avais commencé notre relation avec irrévérence et il avait répondu de la même manière, donc je n’ai jamais eu l’impression de devoir me rapetir pour lui. Compte tenu du pouvoir qu’il avait sur moi, j’ai été impressionnée par la façon dont Le Critique était le contraire de dégueulasse avec moi.
Rétrospectivement, il est clair que c’est là que mes problèmes ont commencé.
Quelques mois plus tard, mon portable a commencé à bourdonner dans ma poche. Le Critique m’appelait alors que j’étais à un événement artistique avec David, mon amoureux. À l’époque, David et moi venions à peine de nous rencontrer—on s’était embrasser pour la première fois une semaine auparavant—mais j’étais déjà à peu près sûre qu’il serait ma personne pour toujours. J’ai regardé mon téléphone, puis j’ai levé les yeux pour voir Le Critique se diriger vers nous à travers la foule. J’ai présenté David au journaliste, et un dialogue maladroit s’en est suivi. Quand mon chéri s’est excusé pour nous trouver des boissons, Le Critique a soudainement changé de ton:
“T’es un crève-cœur, n’est-ce pas?”
Puisqu’il semblait n’y avoir qu’une seule façon d’interpréter sa déclaration et que je ne m’étais jamais intéressé romantiquement au Critique, j’ai rapidement dit “bye” et je suis allée trouver David.
L’échange m’a déstabilisée, mais, au cours des mois suivants, l’amitié naissante avec Le Critique s’est poursuivie. Il s’est mis en quatre pour m’encourager lorsque l’étroitesse d’esprit du monde de l’art m’a abattu. Le Critique m’a expliqué les différents joueurs et ce qu’ils avaient à m’offrir, et il m’a même recommander des galeries où il pensait que mon art pourrait être apprécier.
Lors de notre première rencontre, je lui avais demandé de me laisser faire son portrait et il avait accepté. Mais, en fin 2005, quand est venu le moment pour moi de le photographier et de l’interviewer pour le portrait, il a mis les freins. Il m’a dit que, si je le peignais, il ne pourrait pas écrire sur moi pour Le Journal, car personne ne prendrait son texte au sérieux. Je lui ai dit que je m’en foutais, que je préférerais être son ami.
“C’est différent de ce à quoi je suis habitué avec les artistes,” a déclaré Le Critique, mais il a toujours refusé de me laisser peindre son portrait.
J’ai commencé à lui envoyer des petits dessins amusants de nous deux dans des aventures artistiques fantastiques, des croquis du Critique et l’Artiste en tant qu’amis—comme si cela était réellement possible. Puis, au début de 2006, j’ai choisi un autoportrait que j’avais peint sur toile, je l’ai enlevé de son châssis, je l’ai plié en forme d’enveloppe, et je l’ai utilisé pour envoyer un communiqué de presse au Critique.
Le geste était impressionant. J’étais, après tout, en train de détruire une de mes peintures pour en faire l’enveloppe ci-dessus. (Les adresses sur la photo sont floues pour la confidentialité.)
Pourtant, je voyais cela moins comme un acte de destruction que comme un recyclage de l’œuvre originale en quelque chose de nouveau. Le portrait-enveloppe est devenue une déclaration ironique sur l’artiste en tant qu’outil de commercialisation de son propre art, une reconnaissance qu’une expérience de mon art ne pouvait pas être séparée d’une expérience de moi. Et puis j’avais beaucoup trop de tableaux invendus dans mon atelier: ce recyclage faisait bouger les choses un peu.
Le communiqué de presse concernait une expo intitulée Mutually Beneficial, qui consiste en des portraits d’hommes que j’avais rencontrés en ligne via leurs annonces personnelles dans la section “hommes à la recherche de femmes” sur Craig’s List.
Les hommes avaient été choisis avec soin. Dans leurs annonces, chacun précisait qu’il répondait à la norme hétéro de l’homme fournisseur, bien qu’il y avait toute la gamme: des types inoffensifs qui ont noté qu’ils avaient un emploi à ceux qui se voyaient plus près d’un papa-gâteau. L’idée était d’afficher mes portraits de ces hommes avec leurs autoportraits—c’est à dire les annonces personnelles.
Avant même de prendre rendez-vous, j’avais expliqué à ces hommes pourquoi ils avaient été choisis, que j’allais les photographier et les interviewer afin de peindre un portrait pour une expo, et que j’étais un artiste professionnel. Comme tu peux sans doute deviner, aucun d’entre eux ne m’a entièrement cru. J’ai passé la première partie de chaque rencontre à décrire à nouveau le projet, puis à leur remettre une autorisation de modèle. Le contrat, que chacun des sujets a signé, réitérait tout ce que je venais de leur dire, mais le doute subsistait pour chacun d’eux.
Je sais que c’est le cas, car ils ont tous été surpris lorsque je leur ai envoyé un message dix mois plus tard pour leur faire savoir que Le Critique voulait les interviewer. J’avais promis de ne jamais révéler leurs noms, de ne montrer que les portraits que j’avais peints avec l’annonce personnelle qu’ils avaient écrite. Mais je leur ai dit que, s’ils voulaient partager leur version de l’histoire, Le Critique était à l’écoute.
Le Critique, pour sa part, s’était ennervé que je ne lui ai pas simplement transmis leurs coordonnées tout de suite. J’ai expliqué que j’avais juré aux sujets qu’ils resteraient anonymes, donc leur participation à son article devrait être à leur initiative, et je lui ai assuré que j’avais envoyé un message à chacun d’eux avec son numéro.
Ça piquait un peu que Le Critique ne me croie pas, mais j’aurais dû deviner à ce stade ce qui se passait. C’était comme si le communiqué de presse pour Mutually Beneficial avait fermé une fenêtre entre nous, son verre fait d’un genre de comportement professionnel exagéré. Le Critique m’a interviewé plusieurs fois sur la série, chaque conversation plus frustrante que la précédente. Finalement, le matin avant la publication de sa critique, il m’a appelé.
Le Critique m’a accusé de ne pas suivre mon concept au bout parce que je n’ai jamais demandé à ces hommes d’être mes papas-gâteaux.
“Woah,” dis-je, “ce n’est pas le but de l’expo.” J’ai expliqué qu’une collection de portraits éclairant la dynamique de pouvoir entre les hommes et les femmes ainsi qu’entre les personnes riches et les artistes était suffisamment intéressante. Inverser la dynamique du pouvoir en peignant les portraits des hommes (et donc avoir le contrôle sur la façon dont ils étaient vus) était beaucoup plus intéressant que de céder à la dynamique du pouvoir (en laissant ces hommes payer pour ma vie et, en échange, ayant des relations sexuelles avec eux).
Il n’était pas d’accord et j’ai répondu que coucher avec ces hommes était sa vision du projet, pas la mienne. Il a rejeté cette idée avec véhémence, déclarant à plusieurs reprises: “ça n’a rien à voir avec moi.”
T’en es sûr, chaton? Je ne sais pas pourquoi Le Critique—ou n’importe qui—prétend qu’ils peuvent être complètement impartiaux à propos de quoi que ce soit, mais Le Critique insistant qu’il pouvait être objectif à mon sujet était ridicule.
Dans son article, il écrit:
“Une blonde séduisante invitant des hommes seuls à prendre un café. L’artiste affamée, qui se vante souvent de tomber amoureuse de chaque personne qu’elle peint, a-t-elle frotté les espoirs de ces hommes au nom de son dernier projet artistique? Ils sont peut-être plus stables financièrement mais ils sont aussi émotionnellement vulnérables.”
C’est un extrait particulièrement révélateur lorsqu’on sait tout ce qui s’est passé entre Le Critique et moi, et ça a continué dans cette veine. Le Critique m’a traité d’allumeuse, tout en laissant entendre qu’un artiste qui “fait un effort supplémentaire pour attirer l’attention” est préférable à une allumeuse.*
C’est encore un peu choquant pour moi de lire l’article aujourd’hui. Le Journal avait-il un éditeur? Un homme rejeté pouvait-il vraiment écrire tout ce que son ego meurtri désirait?
Avec la distance de plusieurs années maintenant, je pense avoir enfin compris le journaliste que je pensais être mon ami. Quand Mutually Beneficial est sorti, Le Critique a cru que je le manipulais depuis le début. Il a commodément laissé de côté sa culpabilité, à la fois en interprétant ma gentillesse comme flirtation et en adoptant un comportement amical avec quelqu’un alors qu’il avait tout le pouvoir.
J’avais onze ans quand j’ai compris que certaines personnes sexualisent la gentillesse—et par “certaines personnes” je veux dire principalement des garçons et des hommes cis. Pour ces personnes, il y a une ligne fine entre la gentillesse et la flirtation, et, s’ils pensent que t’as franchi cette ligne, ils sont certains que tu veux les séduire.
Les sexualisateurs de gentillesse rendent très difficile pour le reste d’entre nous—principalement les femmes cis ou trans ainsi que les personnes non binaires qui ont l’air féminines—de maintenir des relations professionnelles sans être accusées d’être allumeuse.
Cela peut être dangereux. Ceux qui sexualisent la gentillesse peuvent facilement passer de l’hypothèse que quelqu’un les drague à agir sur leurs suppositions. Dans le meilleur des cas: ils finissent par te saboter comme Le Critique m’a fait. Au pire: ils t’agressent sexuellement.
Plus souvent, les rencontres avec certains hommes cis nécessitent une énergie supplémentaire qu’on n’a pas toujours. L’étiquette professionnelle exige un certain degré de gentillesse entre les personnes qui travaillent ensemble, mais dans quelle mesure sera-t-il considéré comme la flirtation par les sexualisateurs de gentillesse? Et si tu choisis d’être plus distante, la question devient: quand est-ce qu’on te traitera de “salope”? Impossible de savoir, puisque chac sexualisateur de gentillesse a sa propre norme pour ce qui est à la fois assez gentil et pas trop gentil.
De temps en temps, je fais toujours la même erreur que j’ai faite avec Le Critique. Je m’en veux quand certaines personnes voient ma gentillesse comme une flirtation.
En fait, ça m’est arrivé il y a quelques mois. Intellectuellement, je sais que c’est seulement en étant distante avec cette personne que j’aurais pu éviter cette situation, mais il y a encore une partie de moi qui veut croire que j’aurais pu être aussi chaleureuse que je l’étais tout en communiquant que mon seul intérêt était l’amitié.
Ce sexualisateur de gentillesse—le même misogyne qui me dit du mal dans le village, comme décrit dans ce billet de blog—a besoin qu’on l’explique qu’il doit assumer la responsabilité de lui-même et du comportement de harceleur dans lequel il s’est engagé avant de décider qu’il préfère essayer de détruire ma réputation. Et peut-être qu’un jour je trouverai le courage de le lui dire, mais, pour le moment, je l’ignore chaque fois que nous nous croisons.
Je déteste le patriarcat et toutes les façons dont il me fait croire que je suis responsable de tout ce qui ne va pas dans ma vie. Peut-être que dans quelques décennies de plus, j’aurai pleinement intériorisé le concept selon lequel je peux être gentille sans être un problème. En attendant, il n’est pas question que cela m’empêche de peindre.
* La citation dans cette phrase est tirée directement de l’article, que tu peux lire dans son intégralité dans l’anglais original ici.
Voici les vingt erreurs qui fêtent mes vingt ans en tant qu’artiste professionnel:
- Remettre à plus tard les changements.
- Publier de l’art qui n’est pas mon meilleur.
- Essayer d’être comme tout le monde.
- S’inquiéter d’être trop sensible.
- Me reprocher d’être trop gentille.
- Confondre le courage et la confiance.
- Ne pas réaliser que les gens veulent que je réussisse.
- Cacher mon identité queer pendant des années.
- Avoir honte de vouloir gagner ma vie grâce à mon art.
- Ne pas demander assez d’aide.
- Chercher trop à plaire aux autres.
- Avoir peur des commentaires.
- Ne pas écouter suffisamment.
- Croire à la grande chance.
- Penser que ma positivité améliorerait mon art.
- M’inscrire aux réseaux sociaux dans un premier temps.
- M’attendre à ce que ma créativité soit linéaire
- S’inquiéter de la tricherie dans l’art.
- Avoir peur de commencer.
- Ne pas apprécier mes erreurs.
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